Hinanui Cauchois : J’ai découvert toute la richesse et toute la complexité de cet art. Interview pour Hiroa, la journal d'informations cilturelles de Polynésie.
Pourquoi un livre sur le tressage ?
Les éditions Au Vent des Îles m’ont contactée pour me proposer de réaliser cet ouvrage. L’idée de la collection « Culture Pacifique », qui comprend notamment des livres sur la sculpture et le tifaifai, est de dresser un panorama historique d’une thématique de la culture polynésienne. Le tressage est un art majeur en Polynésie et il paraissait important de le situer chronologiquement, à la fois dans sa dimension historique et sociale, car cela n’avait jamais été fait.
Combien de temps as-tu travaillé autour de ce livre ?
Les recherches, les entretiens et l’écriture m’ont demandé trois années de travail. Parallèlement, je suis archéologue professionnelle depuis 15 ans et professeur d’histoire géographie depuis quelques années. Depuis cette rentrée, j’enseigne au collège-lycée Anne Marie Javouhey à Uturoa. Je suis également en train de finaliser mon doctorat en archéologie auprès de l’Université de Hawaii que je pars soutenir très bientôt avec mon petit garçon de 8 ans. Ce fut donc un projet très intense… A l’origine, je ne suis pas une spécialiste du tressage mais je me suis totalement investie pour le sujet dont j’ai pu découvrir toute la richesse et toute la complexité.
Avec le recul, qu’est-ce qui t’a le plus marquée durant cette aventure culturelle ?
De constater à quel point le tressage était intégré – indispensable même – à tous les domaines de la vie des anciens Polynésiens. Il se fondait complètement dans leur mode de vie et avait une utilité et une fonction pour tout : la navigation, la pêche, l’habitation, les objets du quotidien, les vêtements, les armes, la musique, les ornements, la religion…. Le savoir-faire de la population autour de l’utilisation des matières premières et des techniques de tressage était incroyablement abouti.
Tu consacres un chapitre important au chapeau, un objet introduit au début du 19ème et dont l’histoire est étonnante…
Oui, en effet. Il faut savoir que le chapeau, tel qu’on le connaît aujourd’hui, n’existait pas dans la société polynésienne. La tête était considérée comme sacrée et seuls les chefs avaient le privilège de porter des coiffes. Lorsque les Occidentaux sont arrivés avec les couvre-chefs, ils ont eu un succès fou ! Au-delà de l’attrait pour la nouveauté, les Polynésiens de tous rangs ont pu s’approprier, presque usurper subitement cet insigne de pouvoir… Les gens ont appris à tresser des chapeaux, accessoires devenus très vite intégrés à la vie locale pour atteindre aujourd’hui le niveau de créativité qu’on leur connaît.
Et aujourd’hui, que représente le tressage dans la société polynésienne selon toi ?
Sa fonction s’est déplacée et son utilisation a été réinventée, mais il reste un art majeur. Il y a dans l’ouvrage un grand chapitre sur la transition entre le tressage dans le quotidien d’hier et celui de nos jours. L’arrivée progressive, dès la fin du 18ème siècle, de nouveaux matériaux et techniques, a invariablement entraîné l’abandon de certains savoir-faire traditionnels comme le tapa. Aujourd’hui, même si le tressage est toujours utilisé de manière traditionnelle dans certaines îles pour la confection de paniers, filets de pêche ou pirogues, il n’est plus, pour la plupart des familles polynésiennes, une activité indispensable au quotidien. En revanche, il est devenu une forme de « vitrine culturelle » et permet aux artisanes de perpétuer les gestes d’hier tout en y apportant beaucoup de créativité. Il existe de véritables virtuoses du tressage ! Cette activité représente, il ne faut pas l’oublier, une source de revenus non négligeable pour des milliers de personnes.
La transmission est-elle assurée pour les générations futures ?
La transmission se perd peu à peu. C’est un phénomène triste et malheureusement déjà bien engagé à certains endroits. Le tressage demande beaucoup de patience et de dextérité et les jeunes, même aux Australes, ont de moins en moins envie d’y consacrer du temps, lui préférant d’autres pratiques plus en accord avec leurs centres d’intérêt. C’est la marche du progrès et de la mondialisation à laquelle on n’échappe pas ! Pourtant l’activité connaît tout de même un véritable dynamisme, mais il y a un problème de formation et de rentabilité. Les CJA et à un niveau supérieur le Centre des Métiers d’Art enseignent le tressage mais je n’ai pas le sentiment qu’il représente la motivation principale des élèves, lui préférant la sculpture ou le tatouage et ne voyant peut-être pas dans cette activité difficile de débouchés suffisamment lucratifs. Je pense qu’il existe un potentiel économique intéressant mais il faut le développer de manière peut être plus systématique et plus structurée. L’avenir du tressage dépendra aussi d’une volonté politique, à condition que le Pays se décide enfin, un jour, à mettre en place une véritable politique culturelle et patrimoniale qui dépasse largement la problématique du tressage. Le développement du tourisme culturel qui se fait tant attendre depuis des années est également un secteur dans lequel le tressage aurait toute sa place.
Laetitia Liault, Chef du Service de l’Artisanat Traditionnel